Trop humain

C'est parce que j'ai rien dit que j'ai voulu écrire

C'est face à l'indicible que j'ai pas su bien dire

C'est quand j'ai vu ces yeux pour m'arracher le cœur

C'est l'encre du silence qui a prosé mes pleurs

C'est tellement grand pour moi de sentir un regard

Que j'ai pas pu le dire comme un adieu de gare

Et je reste figé dans quelques yeux de glace

Comme l'infini du temps qui se retrouve enfin

Le temps, ça met une droite... mais ça n'est qu'un seul point.

J'en suis persuadé — comme un bouddhiste idiot.

J'ai fait des rêves où je tenais ta main

Mais la réalité m'a vite refait la peau.

J'ai voulu t'écrire au moins mille fois, au moins.

Je suis maudit, je sais, je ne dis que des mots :

Paradis d'artifices pour remplacer les liens,

Comme un triste imbécile, comme un parfait idiot.

Qui aurait voulu coudre un haillon de langage

Au lieu de juste dire ce qui me faisait mal...

J'ai préféré noircir mille fois, mille fois la page

Que de te dire « je t'aime » juste une fois comme il faut.

J'ai failli mourir dans une ivresse orage —

Pour pas brûler ce monde, j'ai construit mes barreaux.

Pour dire que j'ai souffert, j'ai crié dans ma cage,

Et j'ai prêché le vrai en chérissant le faux.

Quand j'ai voulu aimer au milieu de ma haine,

Que j'avais d'une espèce qui n'était que la mienne —

Mon amour a buté sur une fange étrange,

Et je n'ai eu de frère au milieu de ma peine

Qu'en lisant des cadavres dont ils rongeaient les os,

Qu'ils ont pourtant jetés dans leur fosse commune.

J'ai mieux compris les fous que ces juges immoraux —

Mais j'ai masqué le loup pour mieux jouer l'agneau.

Mes Noces de Cana crucifiant tous leurs dieux.

J'ai conchié leurs idoles comme mon foie boit de l'eau.

J'ai chanté mes conneries dans tous les bars de France

Pour trouver juste un gars qui me voit comme il faut.

Sous la lumière du jour, on ne s'appartient plus :

Notre image est mangée dans la rétine des autres.

Et leur bouche nous recrache en soleil révolu

(dans un mensonge cru).

Les yeux voient toujours tout... le regard s'interpose.

Voilà mon drame : c'est d'avoir fait ma plume

Mieux que ces cons digitalisant leurs pieds.

C'est parfait, enfin :

On lit tes ratures

Comme l'enfant douloureux qu'on a donné en pâture.

Y'a toujours un enfant en nous qui pleure quelque part —

Et l'adulte impuissant reproduit ses ratures.

On croit poser la dernière pierre dans la mare,

Qu'une bille déboule

...et vient réouvrir nos blessures.